369. C'est le nombre de Photomatons que Jacob B'rebi a pris de lui-même entre 1973 et 1974. À quoi pouvaient bien servir ces selfies d'avant l'heure qui montrent tantôt un visage troublé, tantôt un rire forcé, qui paraissent si familiers et lointains en même temps ? Sont-ils l'expression d'une coquetterie, d'un humour solitaire ou la clé d'un mystère ?
Lorsque Christophe Boltanski ouvre cet album ramassé aux puces, il est aussitôt aspiré par ces figures sorties d'un conte de Lewis Carroll. L'homme s'est réinventé en de multiples personnages, l'un barbu, l'autre glabre, l'un en uniforme, l'autre en chemisette décontractée. Acteur, steward, espion ? Les détails pourraient devenir des indices - ou des trompe-l'oeil. Au dos des clichés, des adresses nourrissent encore l'énigme, de Rome à Bâle, de Marseille à Barbès ; quant aux prénoms ou diminutifs, ils ressemblent à des alias.
Christophe Boltanski veut comprendre qui fut cet homme. Son besoin de savoir le conduit dans des échoppes à l'abandon, des terrains vagues, des docks déserts, des lieux ultra-sécurisés, puis dans les cimetières de Djerba, et enfin en Israël, aux confins du désert du Néguev ou au pied du mont Hermon. Patiemment, l'auteur reconstitue les vies vécues et rêvées de Jacob, où se mêlent paradis perdu, exil, désirs de vengeance, guerres et ambitions artistiques. Peu à peu, la quête s'approche du mythe, celui d'un homme qui recherche une terre pour oublier les arrachements de l'enfance, mêle instinct de fuite et de liberté, dans l'espoir de se réconcilier avec la mort et avec la vie.
Après La Cache qui a reçu le prix Femina et Le Guetteur, Christophe Boltanski élargit son exploration littéraire à un anonyme, si représentatif d'une France prise par les violences de l'Histoire, où l'existence individuelle oscille entre goût du secret et quête de sens. Une épopée contemporaine, où l'émotion saisit le lecteur page à page.
« Il est tout blanc, d'un blanc spectral, taillé en Hermès. Privé de son socle, pour ainsi dire détrôné, il jouxte des artefacts faits de la même substance dure, compacte, quelque peu élimés par le temps, imprégnés de la même grandeur surannée. La vitrine expose une matière - l'ivoire - à travers ses multiples usages exhumés d'un grenier de grand-mère. Un chausse-pied, des coquetiers, des ronds de serviette, un coupe-papier, un bougeoir, des boules de billard, une brosse à cheveux, et au milieu de ce bric-à-brac de brocanteur, un roi avec sa barbe et ses médailles. Léopold II n'est plus qu'un bibelot parmi d'autres. »King Kasaï est le nom d'un éléphant empaillé qui fut longtemps le symbole du Musée royal de l'Afrique centrale, situé près de Bruxelles. C'est devant le « roi du Kasaï » et près d'un Léopold II à la gloire déboulonnée, dans cette ancienne vitrine du projet colonial belge aujourd'hui rebaptisée Africa Museum, que Christophe Boltanski passe la nuit. En partant sur les traces du chasseur qui participa à la vaste expédition zoologique du Musée et abattit l'éléphant en 1956, l'auteur s'aventure au coeur des plus violentes ténèbres, celles de notre mémoire.
Quel est le secret de fabrique d'une famille pas comme les autres ? En bref : bizarre et géniale. Qui ne voudrait le savoir ? Cette famille est celle du plasticien Christian Boltanski, l'un des plus célèbres artistes au monde, du sociologue Luc Boltanski, de l'auteur lui-même qui porte en lui les traces de cet héritage : la manie du huis-clos et la préférence pour l'enfermement.
C'est d'abord l'histoire d'un homme, son grand-père, médecin juif, qui s'est caché chez lui, en plein Paris, pendant la Seconde Guerre. Dans cet « entre-deux », creusé entre les cloisons de l'appartement, on ne tenait ni debout, ni couché. Cela a duré deux ans. Il n'aurait pas survécu sans la volonté de fer et l'autorité de sa femme, « Mère-Grand », une romancière atteinte très jeune de poliomyélite.
La cache est le roman d'une famille à la gaieté excentrique et dure (inutile d'aller à l'école car les enseignants sont des « tortionnaires diplômés »), ayant un sens de la liberté réinventé (les enfants bâtissent des villes qui dévorent l'appartement, et imaginent une République où se succèdent les coups d'État). Lorsque l'on s'aventure dans chacune des pièces de la « Rue-de-Grenelle », on découvre un personnage après l'autre, le mystère des « Bolt » se dévoile.
À la mort de sa mère, Christophe Boltanski découvre dans son appartement le manuscrit d'un polar qu'elle avait entamé, « Le Guetteur », mettant en scène un harceleur terrifiant. Mais qui guette qui ? Personne ne savait qu'elle écrivait. Comment vivait cette femme fantasque et insaisissable, enfermée dans son appartement parisien avec pour seul compagnon son chien ? Elle qui aimait le frisson, pourquoi s'est-elle coupée du monde ? L'énigme de sa mère devient une obsession pour Christophe Boltanski. Alors il décide de la prendre en filature. Et de remonter le temps. Est-ce dans ses années d'études à la Sorbonne, en pleine guerre d'Algérie, où l'on tracte et l'on se planque, que la jeune femme bascule ? Peu à peu sa prudence dégénéra en paranoïa et son militantisme laissa place au fantasme de l'action. Le Guetteur est le roman bouleversant d'une femme qui a recensé toutes les cigarettes qu'elle a fumées, était convaincue que ses voisins l'espionnaient, et s'est perdue en cours de route. C'est aussi la quête d'un fils qui cherche à retrouver sa mère. Et la confirmation d'un grand écrivain.
Qui connaît la cassitérite ?
C'est le principal minerai de l'étain. On le trouve partout, dans nos téléphones portables, nos radios, nos télévisions... Mais à quel prix ?
Dans ce livre-enquête, cette traque policière sur plusieurs continents, Christophe Boltanski nous révèle l'origine de ces minerais de sang.
Depuis les mines du Nord-Kivu au Congo, où des gamins africains s'enfoncent sous la terre au péril de leur vie jusqu'aux tours de La Défense, où des entreprises mondialisées disent tout ignorer du chemin qu'empruntent les minerais, notre reporter-écrivain a suivi le fil hasardeux, dangereux, qui mène de l'ombre de ces esclaves modernes à la lumière de notre consommation quotidienne.
De l'Afrique des gueres oubliées au London Stock Metal Exchange, des usines de Malaisie aux poublelles à ciel ouvert du Ghana, en passant par Bruxelles et Paris, c'est un roman-vrai, tissé d'argent, d'influences obscures, de politique.
Le véritable visage du post-colonialisme.
Mort mille fois et ressuscité autant, Yasser Arafat, le fedayin qui commandita ou laissa se perpétrer des meurtres, le chef de l'Etat palestinien, a beaucoup menti sur lui-même. Sait-on vraiment qui il est ? Des bords du Nil à la poussière de Gaza, en passant par l'exil à Tunis et les fastes défunts de Beyrouth, on suit l'itinéraire tumultueux d'un autocrate qui changea sans cesse d'identités. Seigneur de la guerre, impliqué par exemple dans l'opération contre les athlètes israéliens à Munich, ou jongleur des accords d'Oslo, serrant une main réticente à Yitzhak Rabin ? Moine-soldat ou homme d'affaires contrôlant la moindre dépense de l'OLP ? Serait-il le célibataire Monsieur Palestine, incarnation de l'exode d'un peuple, ou le mari passionné et jaloux de Soha Arafat ? On apprend ainsi, dans un récit foisonnant d'anecdotes, la vérité sur de nombreuses intrigues, sur mille rencontres et voyages, sur un homme et le destin de son peuple.