Douze articles rédigés pour des journaux estoniens servent de prétextes à Dovaltov pour nous raconter les coulisses de ses reportages, et le bras de fer permanent auquel le journaliste doit se livrer face à la censure et aux directives que le Parti entend bien lui faire suivre. Douze «compromis» savoureux qui nous laissent entrevoir, derrière la façade idéologique mâtinée de mensonges, des histoires, des tranches de vie - absurdes, tendres, cruelles, drôles.
Avec son inégalable goût de la satire, Sergueï Dovlatov conte les tragi-comédies du quotidien. Ceux qui se laissent encore et malgré tout guider par l'amour de la littérature et de la vérité survivent comme ils peuvent face aux injonctions idéologiques. Certains ploient, d'autres se rebellent, la plupart s'abîment dans la vodka.
Cet entretien de 1999, enregistré à Boston, traverse le XXème siècle. Des origines familiales juives de Russie des parents de Saul Bellow, forcés de fuir le régime tsariste et d'émigrer au Canada, à sa vie américaine à Chicago. Il s'y dessine les tensions fécondes de son enfance entre la nostalgie et la tradition juive des parents, l'éveil à l'altérité et la volonté inébranlable de son grand frère de devenir américain. La guerre des langues et l'importance de la possession de chacune est évidemment soulignée.
C'est aussi une discussion sur le grand roman contemporain, sur la littérature juive-américaine dont Saul Bellow a été l'un des créateurs, sur ses rapports avec les autres écrivains, Isaac Singer et Philip Roth en tête.
À partir des espaces et des lieux (les pays étrangers et leurs stéréotypes nationaux, mais aussi Paris, Nogent, et la présence affleurante de la Province), ce livre propose de réfléchir à l'inscription des personnages de L'Éducation sentimentale dans une trajectoire biographique, qui leur affecte des origines, un ancrage, et aussi un avenir virtuel.
Par ce biais, il pose avec un oeil neuf la question de la présence de l'Histoire dans le roman, identifiant notamment la présence cryptée et entêtante de la figure de Napoléon Ier.
Il invite aussi à reconsidérer le rapport des personnages de L'Éducation, Frédéric et Deslauriers en particulier, à la course du temps, entre passé et futur, et renouvelle ainsi le débat sur la nature du romanesque dans le roman flaubertien.
En avril 1923, Karel Capek démissionne du poste de dramaturge qu'il occupait depuis octobre 1921 au Théâtre municipal de Vinohrady et part aussitôt en vacances en Italie pour se refaire une santé. Son séjour dure près de huit semaines. On est au tout début de l'ère fasciste et c'est son premier voyage en Italie. Durant son périple, Capek adresse à son journal quinze lettres, qui sont publiées en feuilleton, au fur et à mesure. Sur la base de celles-ci, il produira ce recueil de Lettres italiennes, savoureux, drôle et pénétrant.
Le périple de Capek est avant tout urbain, Venise, Padoue et Ferrare, Ravenne et Saint-Marin, Florence, Sienne et Orvieto, Rome, Palerme, Taormina, Gênes et Milan, Vérone, Bolzano, sans compter les étapes intermédiaires évoquées en passant (Rimini, Bologne, Pérouse, Arezzo, Pise, Mantoue) et les nécropoles souterraines (Pompéi, Ostie) mais il est très loin d'offrir une liste de beautés ou de curiosités. En voyageant librement et en s'intéressant plus aux enfants qui jouent dans une cour qu'aux monuments historiques d'intérêt capital, Capek fait le choix d'un voyage personnel et joyeux où il cède volontiers à la description d'ambiances et d'anecdotes, non sans se départir de sa facécie. Ainsi de Rome il dira : « Si je fais cet exposé pseudo-historique, c'est pour ne pas avoir honte de dire que Rome dans l'ensemble ne me plaît pas. Ni le Forum romanum, ni l'horrible ruine de briques du Palatin, ni rien d'autre n'ont suscité en moi de sentiments sacrés ».
Un livre foudroyant, qui transporte en pleine lumière de l'Alaska, dans les vents violents de l'île de Westray puis dans l'intimité de la narratrice, avec pudeur.
Kathleen Jamie s'exprime par des récits lumineux et trépidants où elle observe la nature, les êtres et le passé.
Ses textes sont autant d'histoires autobiographiques, où chaque mot est pesé, autour de la notion du vivant. Sans jamais donner de leçon écologique, elle parle d'une vie où les voyages ne sont pas du tourisme et où la vie simple n'est pas une vie de privation.
Strates offre d'abord le récit des aventures d'une femme dont l'horizon et les possibilités se sont étendus à la suite du départ de ses enfants. Elle participe alors à de longues fouilles archéologiques chez les Yupik en Alaska et sur l'île de Westray en Écosse. Les vestiges de ces deux cultures mettent à nu le rapport des habitants à leurs ancêtres et les surprenantes analogies entre la vie de ces deux générations d'Hommes.
Ce recueil réunit des articles inédits en volume de Jean-Pierre Richard, grande figure de la critique littéraire du vingtième siècle. Maître de la critique thématique, Richard était attentif à la sensibilité des auteurs qu'il commentait, étudiant à la fois le monde des sensations et leur retentissement dans la conscience de ces auteurs, ce qui le rapprochait du mouvement critique de l'Ecole de Genève. Jean-Pierre Une des originalités de ce volume est de recueillir les deux seuls articles que Richard a consacrés à sa pratique et deux témoignages commentant ses liens à l'École de Genève.
Cette anthologie est précédée de préfaces-hommages de Michel Collot, Christian Doumet, Philippe Dufour et Marta Sabado Novau et suivie d'une bibliographie complète de ses oeuvres.
Erratique et capricieux, le motif du nuage n'apparaît que de façon épisodique à l'horizon du poème baudelairien. Lorsqu'il s'offre au regard, il préfigure moins les « orages désirés », chers à la sensibilité romantique, qu'il ne suggère une relation inédite du poète au monde extérieur, et en particulier aux phénomènes météorologiques, par essence changeants et imprévisibles.
De 1838 à 1862, Baudelaire a cherché à cerner, à partir de certains accidents atmosphériques, un faisceau de valeurs qui se déclinent selon trois plans : esthétique, éthique et psychologique.
Depuis le Nouveau Roman, les récits publiés aux Éditions de Minuit sont décrits comme des productions homogènes au style exigeant : Minuit serait une maison de haute littérature.
Cet essai propose une archéologie de l'idée d'un style Minuit, telle qu'elle a été initiée par l'éditeur historique, Jérôme Lindon, et reconduite par la critique littéraire comme un stéréotype structurant le champ littéraire et la création. Cependant, mise à l'épreuve d'une lecture stylistique de Beckett et Monique Wittig notamment, la mythologie d'un style Minuit doit être remise en question ; des entretiens avec É. Chevillard, É. Laurrent et L. Mauvignier confirment les singularités de chaque pratique d'écriture. Cet essai, qui emprunte ses outils d'analyse à l'ensemble des sciences humaines, veut contribuer à la démythification, voire à la démystification du style Minuit, aujourd'hui encore appréhendé comme le comble de la qualité littéraire française.
Originellement lié au domaine scolaire, le terme potache désigne d'abord un élève d'âge moyen, collégien ou lycéen, avant de renvoyer à des figures perturbatrices comme le Calvin de Bill Waterson, le jeune Antoine Doisnel ou Bart Simpson. Par extension, le terme déborde cet univers pour définir les logiques de ces individus et leurs pratiques, à l'image du canular téléphonique, de la contrepèterie et des farces et attrapes. Plus encore, la potacherie peut s'envisager comme une manière d'être, d'agir, de penser - autrement dit, un style. Porté par l'intérêt au désintérêt, celui qui l'incarne goûte peu le caractère officiel et prescriptif des institutions, traque les formes de violence symbolique et tourne en dérision les dominants. Des fabliaux médiévaux aux mèmes de l'Internet 2.0, de Rabelais à South Park, en passant par les Hydropathes, Rimbaud, les druffis berlinois, Le Gorafi et Éric Chevillard, le présent essai interroge les figures, les modes de fonctionnement et les supports du style potache.
Aucune étude sérieuse sur la signification et la valeur des monstres et du monstrueux en Russie n'existait jusqu'ici. Annick Morard s'en est chargée, dans un essai fluide et bien écrit à paraître ici et en Russie.
L'auteure offre une réflexion qui plonge aux sources historiques et culturelles du monstre russe. Elle interroge tour à tour la culture orale et visuelle, enquête sur les termes qui disent le monstre en russe, sur les récits, mythes et fables qui en content les aventures, sur les dessins et images qui les représentent et enfin bien entendu sur la littérature du début du XXe siècle, héritière et pourfendeuse de cette tradition.
Trois moments clés, analysés ici dans le détail, révèlent la puissance symbolique des monstres en Russie : au XVIIIe siècle, la création de la Kunstkamera, considérée comme le premier musée russe, met les monstres anatomiques sur le devant de la scène, d'égal à égal avec les animaux exotiques et les dernières découvertes scientifiques et techniques.
Au XIXe siècle, le monstre est exhibé en tant que tel dans les foires populaires et autres musées de curiosités, stationnaires ou ambulants. Le freak show est, en Russie aussi, un divertissement populaire qui marque profondément la culture citadine du XIXe siècle. Ce livre décrypte ce phénomène pour la première fois.
Au tournant du XXe siècle, avec le développement fulgurant de la médecine et des sciences de la vie, le rapport au monstre change encore : sous le scalpel des chirurgiens, les monstres sont tantôt soignés, tantôt créés.
À l'enseigne de la célèbre formule de Maldoror, parodiée à juste titre pour l'occasion, Daniel Sangsue revient sur deux de ses spécialités : le récit excentrique et la parodie, qu'il croise au fil de dix essais organisés en deux parties et portant principalement sur la littérature française du XIXe siècle.
L'excentrique, c'est Nerval, c'est aussi, dérivé de Tristram Shandy, le filon de l'essayisme sternien, suivi de Vie et opinions du Chat Murr d'Hoffmann aux Opinions de Jérôme Coignard d'Anatole France.
Quant à la parodie, l'auteur la présente à travers le théâtre, la presse satirique et les cercles fumistes du XIXème siècle, avant de s'intéresser à quelques nouvelles formes qu'elle investit aux XXème et XXIème siècles :
Bande dessinée, cinéma, télévision, Internet...
Eric Chevillard a tenu une chronique hebdomadaire dans Le Monde des livres de 2011 à 2017. Il réunit 170 de ses 270 chroniques dans ce recueil intitulé Feuilleton. Brillantes, drôles, tour à tour enthousiastes et caustiques, ces chroniques dressent un portrait vivant de la littérature contemporaine. La première concernée est la littérature francophone contemporaine ou récente (par ex. Lydie Salvayre, Jean-Paul Dubois, François Begaudeau, Arno Schmidt, Nathalie Quintane, Henri Roorda...), mais Chevillard fait aussi de fréquentes incursions dans la littérature traduite (Will Cuppy, Patrik Ourednik, Italo Calvino...). Si le roman domine, le feuilletoniste aborde aussi d'autres genres littéraires (poésie, essai, autobiographie...), dans des analyses qui montrent en creux sa propre conception de la littérature. Bien étayées par des citations, ces chroniques permettent aussi au lecteur de se forger sa propre opinion.
Pourquoi les réunir en un volume ? D'abord pour donner un aperçu de ce qui se fait dans la littérature contemporaine (sur six ans, l'éventail est représentatif), ensuite pour clouer le bec à ceux qui proclament le déclin de la littérature. Comme l'auteur le signale dans son Avant-propos: « J'affirme qu'il y a autant d'excellents écrivains aujourd'hui qu'aux époques les plus glorieuses de notre littérature. Cela aussi fut une surprise pour moi. »
Dans les récits du XIXe siècle, on a peur de la nature et du surnaturel, mais aussi de la guerre, du peuple, du criminel, de soi-même... Passion du récit, présente dans les divers genres romanesques ainsi que dans les contes et nouvelles, la peur émerge sur fond de Terreur, de conflits militaires et politiques, de transformations sociales et artistiques profondes. Elle se dresse également sur un arrière-plan scientifique en partie renouvelé.
Quelles formes prend-elle selon les personnages mis en scène ? Quelle représentation de l'espace induitelle ? Comment nourrit-elle la composition et la matière dramatique du récit ? Quel regard les écrivains portent-ils et nous amènent-ils à porter sur ceux qui l'éprouvent ?
L'ouvrage s'interroge sur la fécondité de la peur pour la fiction narrative, y compris dans le détail de son style ; il déplace donc l'intérêt de l'action à la passion. Il met de plus en perspective sa configuration littéraire en mobilisant les représentations non littéraires de ce temps ou du nôtre. Ce faisant, il cherche comment fiction et diction contribuent à modeler la pensée de la peur, autrement nommée crainte, angoisse, panique collective.