Après Le droit d'emmerder Dieu, éloge du droit au blasphème, Richard Malka revient sur l'origine profonde d'une guerre millénaire au sein de l'Islam : la controverse brûlante sur la nature du Coran.
Plus qu'une plaidoirie, ces pages mûries pendant des années questionnent ce qu'il est advenu de l'Islam entre le VIIème et le XIème siècle, déchiré entre raison et soumission.
Les radicaux ont gagné, effectuant un tri dans le Coran et les paroles du Prophète, oppressant leurs ennemis - au premier rang desquels les musulmans modérés, les musiciens, artistes, philosophes, libres penseurs, les femmes et minorités sexuelles.
Plonger avec passion dans cette cassure au sein d'une religion n'est pas être « islamophobe », c'est regarder l'histoire en face.
Traité sur l'intolérance est une méditation puissante, un appel aux islamologues du savoir et de la nuance - pour qu'enfin chacun sache, comprenne, échange, s'exprime.
« Comment l'appeler ?
Je dis Anne, mais cette fausse intimité me met mal à l'aise. Je ne peux pas dire Anne, quelque chose m'en empêche, qui, au cours de la nuit, se matérialisera par l'impossibilité de rester dans sa chambre. Alors je dis Anne Frank, comme on évoque l'ancienne élève brillante d'un collège fantomatique. Deux syllabes.
Anne Frank, une histoire que « tout le monde connaît » tellement qu'il n'en sait pas grand-chose. Car « tout le monde connaît » ne dit pas que « tout le monde sait », mais qu'on est pressé de passer à autre chose, de le ranger au Musée, ce petit fantôme.
La Maison Anne Frank est un appartement vide. C'est l'absence de ses habitants devant laquelle les visiteurs défilent. C'est le vide qui transforme cet appartement, l'Annexe, en musée. Mais le vide n'existe pas. Il est peuplé de reflets qui témoignent de l'abîme, celui de la disparition d'Anne Frank.
Toute la nuit, j'irai d'une pièce à l'autre, comme si une urgence se tenait tapie encore, à retrouver. »
La philosophie politique et la psychanalyse ont en partage un problème essentiel à la vie des hommes et des sociétés, ce mécontentement sourd qui gangrène leur existence. Certes, l'objet de l'analyse reste la quête des origines, la compréhension de l'être intime, de ses manquements, de ses troubles et de ses désirs. Seulement il existe ce moment où savoir ne suffit pas à guérir, à calmer, à apaiser. Pour cela, il faut dépasser la peine, la colère, le deuil, le renoncement et, de façon plus exemplaire, le ressentiment, cette amertume qui peut avoir notre peau alors même que nous pourrions découvrir son goût subtil et libérateur.L'aventure démocratique propose elle aussi la confrontation avec la rumination victimaire. La question du bon gouvernement peut s'effacer devant celle-ci:que faire, à quelque niveau que ce soit, institutionnel ou non, pour que cette entité démocratique sache endiguer la pulsion ressentimiste, la seule à pouvoir menacer sa durabilité? Nous voilà, individus et État de droit, devant un même défi:diagnostiquer le ressentiment, sa force sombre, et résister à la tentation d'en faire le moteur des histoires individuelles et collectives.
Le 7 janvier 2015, la rédaction de Charlie Hebdo est la cible d'une fusillade meurtrière. Un procès retentissant se tient cinq ans plus tard. À la barre, Richard Malka livre une plaidoirie historique et se fait l'avocat de la liberté. Chaque mot pèse. Chaque mot frappe. Ou apporte la douceur, évoquant les noms des disparus, des amis, leurs plumes, leurs pinceaux, leur distance ironique et tendre. Bien plus qu'une plaidoirie, Le Droit d'emmerder Dieu est un éloge de la vie libre et éclairée.
«Nous ne savons pas ce qui nous arrive et c'est précisément ce qui nous arrive», écrit José Ortega y Gasset.Tant de certitudes ont été balayées ! Comment naviguer dans un océan d'incertitude ? Comment comprendre l'histoire que nous vivons ? Comment admettre enfin que, en dégradant l'écologie de notre planète, nous dégradons nos vies et nos sociétés ? Comment appréhender le monde qui se transforme de crise en crise ? Comment concevoir l'aventure inouïe de notre humanité ? Est-ce une course à la mort ou à la métamorphose ?Serait-ce à la fois l'un et l'autre ?Réveillons-nous !E. M.
Ginette Kolinka, qui va fêter ses 98 ans, habite le même appartement depuis qu'elle a dix ans.
Elle a toujours vécu là, rue Jean-Pierre Timbaud, au coeur de Paris, à l'exception de trois ans : de 1942 à 1945.
Cet appartement, c'est sa vie qui défile devant nos yeux. Il y a les portraits de ceux qui ne sont pas revenus de Birkenau : son père, son petit frère, son neveu.
Les disques d'or de son fils unique, Richard, batteur du groupe Téléphone.
Les photos de ses cinq soeurs, Ginette est la cadette, des petits-enfants, des arrière-petits-enfants.
Les dessins des écoliers, à qui elle raconte désormais son histoire, tous les jours, aux quatre coins de la France.
Et même les meubles qu'ont laissés les « collabos ».
Ginette nous fait la visite.
On traverse le temps : l'atelier de confection de son père, la guerre, ce mari adorable et blagueur. Les marchés, qui l'ont sauvée. Et les camps qui affleurent à chaque page, à chaque pas.
Mais Ginette, c'est la vie ! Le grand présent. « On me demande pourquoi je souris tout le temps, mais parce que j'ai tout pour être heureuse ! »
Le chagrin conduit le coeur vers la littérature et la philosophie dans l'espoir d'y trouver une consolation, comme un enfant se réfugie dans les bras de sa mère. Mais les mots des autres ne consolent pas. Regarder la mort en face, n'est-ce pas constater notre condition d'êtres résolument inconsolables ?Qu'est-ce que ça change, vraiment, de perdre son père ? Sans croyance en un au-delà, que signifie l'ultime disparition de ce qui est ? Rien ne change, et pourtant le monde n'est plus le même. Il faut s'habituer à vivre dans un monde sans lui. La vie continue, les matins se succèdent, les enfants grandissent, un nouveau chat rejoint la maison, et après la grande tristesse c'est la peur de l'oubli qui survient.Et si tout redevenait comme avant ? La vie, même dans l'impossible face-à-face avec la mort, se trouve dans cette alternative : quand le temps s'étire, on s'ennuie ; quand le temps s'arrête, on gémit. Le drame n'est-il qu'une suspension provisoire de nos soucis ? Mais alors, nous autres, êtres inconsolables, avons-nous la possibilité de jouir de l'existence en connaissance de cause ?A. V. R.
Surnommée « la reine des fleurs » depuis l'Antiquité, la rose règne sans partage : elle est la plus offerte au monde. En l'associant à l'amour dès son apparition, en Perse, nous lui avons prêté une passion que nous la chargeons de transmettre, ce qu'elle accomplit avec charme et fugacité, douceur et piquant. Cueillons-la avant qu'il ne soit trop tard, en compagnie d'Alain Baraton, le jardinier de Versailles, dans ce livre qui est la première histoire culturelle de la rose.
Qu'est-ce qui la caractérise ? Comment et quand s'est-elle répandue sur toute la terre ? Quelles sont ses propriétés, quelle est sa symbolique ? La rose rose est-elle la rose originelle ? Qui sont ceux qui lui ont donné son nom (et ceux qui en rêvent) ? De quels grands peintres a-t-elle été la fleur favorite, quels sont les plus beaux poèmes en son honneur, quels musiciens ont composé en s'inspirant d'elle ? Saviez-vous que la rose a causé des guerres, et engendré des usages gastronomiques ? La fleur la plus célèbre du monde est pleine de surprises.
Tout ceci, et bien d'autres découvertes encore, nous attendent dans Le Livre de la rose, où, alliant botanique, histoire et anecdotes, Alain Baraton révèle les secrets de la fleur aux cent pétales.
«Changer l'Église ? Plutôt changer ses modes d'organisation et de gouvernance, interroger ses lieux de décision. Qu'avons-nous à perdre si ce n'est du pouvoir ! Qu'aurions-nous à gagner ? Un meilleur service des frères et de Dieu. Pour moi, le choix est vite fait !»Mgr Pascal WintzerQuand le mensonge, la dissimulation, les délits et les crimes entachent l'épiscopat français, laissant les fidèles honteux et l'opinion incrédule, comment ne pas se sentir empêché dans l'accomplissement de sa mission ? C'est un tel désarroi qui s'exprime ici par la voix de l'archevêque de Poitiers, s'interrogeant sur le sens et le devenir de sa charge après la série de révélations sur les abus sexuels au sein de l'Église. En pleine crise morale et systémique, l'Institution catholique donne aujourd'hui l'impression de faire écran à Celui qu'elle sert. Si elle ne veut s'éteindre, elle n'a d'autre choix que de se convertir. Par où commencer ? Probablement par tout ce qui entretient l'entre-soi et l'impunité, l'immaturité et l'emprise dans l'exercice exclusif du pouvoir par la cléricature... et qui aura détourné celle-ci de ses devoirs d'humanité indissociables de sa vocation pastorale.
D'où vient le jihadisme ? Où va-t-il ? Depuis l'effondrement de Daech en Syrie, ces interrogations semblent avoir disparu du débat public. Certes, les affaires qui émaillent tragiquement l'actualité rappellent que le sujet du terrorisme islamiste est loin d'être réglé. Mais en dehors des attentats, il est urgent de comprendre ce qui a permis au jihadisme de devenir, en l'espace d'une génération, un enjeu politique, sociétal et démocratique de premier plan. Hugo Micheron retrace avec précision ce qu'est le jihadisme depuis 1989, au-delà de la simple menace sécuritaire et du seul cas de la France.Il propose la première histoire du jihadisme européen, un phénomène d'abord ignoré, dont les transformations sont passées inaperçues et dont les implications sont considérables pour les équilibres actuels et futurs des démocraties européennes. C'est un récit à hauteur d'hommes et de femmes, sur plusieurs continents, qui permet de comprendre pourquoi l'Europe a été autant frappée par les attentats, de Stockholm à Madrid en passant par Nice, Paris, Londres et Berlin. Il éclaire la nature du jihadisme en Occident, ses métamorphoses passées et présentes, et nous fait prendre conscience des enjeux de la décennie à venir, car c'est quand on s'y attend le moins que les attentats nous frappent.
«Je sens très fortement un appel à nager, comme une attraction physique. L'eau s'offre dans un présent intemporel ; elle appartient à la jeunesse, et surtout à l'enfance : quand les gens se précipitent vers l'eau, ils sont comme happés par un bonheur qui les dépasse...»Chantal Thomas a grandi à Arcachon entre deux éléments fondateurs, l'eau et le sable. École du regard et du silence, cet horizon premier a forgé ses principes d'existence : autonomie, attention à l'instant et à l'impermanence. Synonyme de liberté, d'amour de son corps, la nage contribue à l'émancipation des femmes.Plage et page se confondent... Chantal Thomas évoque ses voyages, ses lectures, les figures artistiques qui l'ont marquée. De New York à Nice, de Roland Barthes à Patti Smith, elle nous immerge dans une vie nomade où l'écriture prend corps.
Par habitude, par nécessité ou en raison de la faiblesse de notre intelligence dépassée par le tsunami des savoirs et des informations, nos façons ordinaires de nourrir la vie des idées consistent à la découper en secteurs, à la compartimenter en disciplines, à l'atomiser en petites spécialités étiquetées bien comme il faut.Il s'agira ici de suivre le chemin inverse, de briser les enclos, s'encanailler, provoquer des courts-circuits au petit bonheur la chance et, si possible, des étincelles. D'associer des éléments trop souvent séparés dans les analyses : physique et philosophie, pensée et action, réalité et imagination, hasard et destin, infini mathématique et engagement existentiel, intelligence analytique et courage physique, Einstein et Rolling Stones, image et mirage, langage et impesanteur, raison et déraison... Mettons le nez dehors, inventons une chimie nouvelle, bâtissons des molécules littéraires à partir d'atomes disciplinaires !É. K.
« Michel Louise. Née le 29 mai 1830 à Vroncourt. Profession institutrice. Religion idolâtre. Matricule 9. Coupable 1/ de Port d'armes apparentes étant revêtue d'un uniforme, pendant un mouvement insurrectionnel. 2/ d'avoir fait usage de ces armes. ».
Ainsi s'ouvre le dossier pénitentiaire de celle qui fut embarquée et encagée vers le bagne de Nouvelle Calédonie en 1872, où elle vivra presque dix ans, avant de revenir en métropole poursuivre son combat. Ce n'est que le premier des dossiers instruits contre elle. Toute sa vie, cette figure puissante de la Commune, féministe et anarchiste qui a dédié sa vie à la révolution, sera placée sous surveillance par la République et sa police, et plusieurs fois arrêtée. C'est en prison, qu'elle rédige ses mémoires.
Dans la lignée de sa série pour France Culture, Judith Perrignon nous offre le destin de cette femme exceptionnelle, en même temps qu'un voyage dans les archives officielles. Des procès, des rapports, des courriers, des rumeurs d'indics, des filatures, pour creuser au-delà d'une biographie, le sillage des révolutions jusqu'à la Commune, cette guerre civile française jamais nommée, si peu enseignée dans les classes, et parvenir à ce moment fondateur de la fin du 19ème siècle, « ce qu'on appelle la République française », ricanait Louise Michel dans une lettre envoyé depuis le bagne à ceux qui l'y avait envoyée. « Au revoir messieurs, à bientôt ! » signait-elle.
Portrait d'une femme, d'une époque agitée par l'idéal et les idées : Judith Perrignon fait entendre avec puissance et émotion les voix d'alors.
«Pas de shabbat, pas de dimanche pour les machines. Et les hommes suivent au rythme infernal du cirque consumériste. Et ça se dit libre.»Jean RouaudAlors que le débat sur la place du travail dans nos vies anime à nouveau la société française, il est utile de nous remémorer le jour de paresse que, selon les Écritures, s'octroya le Créateur au septième jour de la Genèse. Cette sagesse n'est certes pas celle des hommes, occupés depuis le Néolithique, et l'invention géniale de l'agriculture, à exploiter sans répit ni mesure ce qui leur a été donné : la Terre, les animaux et eux-mêmes. Exploiter jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien à tirer, exploiter jusqu'à l'épuisement de toutes nos vraies richesses, naturelles et humaines. Comme Dieu le fit pour lui-même, et à l'exemple de ce que fut la succession des saisons, octroyons-nous ce temps de repos, laissons vivre le vivant et, avant qu'il ne soit trop tard, accordons des vacances à la terre : «Vacances pour la Terre, Repos la Terre, Shabbat ma Terre».
Par ses investigations sur la mafia et le crime organisé, par ses prises de parole politiques, Roberto Saviano incarne le courage civique. En puisant dans sa propre expérience, il s'adresse aujourd'hui aux générations futures, les incitant à s'exprimer, à s'engager. En dressant les portraits de trente personnalités, de la Grèce antique à nos jours, il dénonce dans un livre incisif les manipulations, la propagande, la censure, le formatage par le marketing, les dérives du monde contemporain, et invite à réfléchir par soi-même, à ne pas tergiverser sur la défense de nos valeurs fondamentales.La néoplatonicienne Hypatie, Martin Luther King, Giordano Bruno, Émile Zola, Anna Akhmatova, Edward Snowden, Jamal Khashoggi... ces figures choisies comme exemples de courage et de dignité sont, loin de toute héroïsation, présentées avant tout comme des hommes et des femmes ordinaires qui n'ont jamais renoncé à leurs convictions. Autant de cris, d'inspirations audacieuses pour tous ceux qui veulent s'engager pour un monde plus juste.
Palmarès Le Point - Les 30 livres de l'année 2022« C'est à l'âge de quinze ans que le chant s'est éveillé en moi. Je m'ouvrais à la poésie et entrais, comme par effraction, dans la voie de la création... » Depuis son premier essai sur l'eau et la soif - unique témoin de son adolescence chinoise qu'il a emporté en France et dont il nous livre aujourd'hui la traduction - en passant par ses rencontres avec Gide, Vercors, Lacan, Michaux, Emmanuel, Bonnefoy et tant d'autres, François Cheng nous fait partager la longue route qui l'a conduit à devenir, lui l'exilé qui ne savait dire ni « bonjour » ni « merci » lorsqu'il est arrivé à Paris, un poète français.Cette route, malgré les affres de la guerre en Chine, l'extrême précarité matérielle des premières décennies en France, et de cruels tourments intérieurs, mais est toujours éclairée par la poésie française qu'il intériorise au fond de sa nuit solitaire. Elle l'est aussi par un amour passionné pour la langue d'un pays dont François Cheng a fini par épouser le « chant » et le destin. La lumière singulière qui émane de ce récit est celle d'une symbiose qui unit la Voie du Tao et la voie orphique et christique, orientant sans cesse le poète vers l'authentique universel. Une merveille. Challenges
Pourquoi Colette ? Un grand écrivain, c'est aussi un écrivain qui crée des mythes, qui renouvelle notre mythologie. « Créer un poncif, c'est le génie », disait Baudelaire. Colette a créé quatre mythes : Claudine; Sido, Gigi, et Colette, elle-même, grand écrivain national, monstre sacré. Admirée par Simone de Beauvoir, pionnière de la transgression et de la provocation, elle fait souffler dans ses romans ce vent de liberté qui nous manque tant aujourd'hui. Antoine Compagnon décline toutes les facettes de Colette, des plus connues ou plus secrètes. De Claudine, sa première héroïne, dont son mari, Willy, s'appropria la paternité, signant de son propre nom les textes de son épouse et récoltant le succès et l'argent à sa place. Sido, inspirée par sa propre mère, sans doute sa plus belle invention romanesque. En passant par Gigi, son double littéraire charmante, légère, heureuse en amour et en mariage - à l'opposé de sa créatrice qui fuira « l'homme, souvent méchant » et trouvera refuge auprès des femmes. De sa Bourgogne natale à la présidence de l'académie Goncourt - elle qui n'avait aucun diplôme -, Colette ne fut jamais là où on l'attendait et emmena la littérature là où personne d'autre n'avait osé aller. Plus accessible que Proust, plus moderne que Gide, Claudel ou Valéry, Colette réussit la prouesse d'être à la fois lue dans les écoles et d'avoir conçu une oeuvre toujours aussi sulfureuse. Lire Colette aujourd'hui, c'est embrasser le XXe siècle dans toute son extravagance, grâce à un style qui n'a pas pris une ride.
« Il est tout blanc, d'un blanc spectral, taillé en Hermès. Privé de son socle, pour ainsi dire détrôné, il jouxte des artefacts faits de la même substance dure, compacte, quelque peu élimés par le temps, imprégnés de la même grandeur surannée. La vitrine expose une matière - l'ivoire - à travers ses multiples usages exhumés d'un grenier de grand-mère. Un chausse-pied, des coquetiers, des ronds de serviette, un coupe-papier, un bougeoir, des boules de billard, une brosse à cheveux, et au milieu de ce bric-à-brac de brocanteur, un roi avec sa barbe et ses médailles. Léopold II n'est plus qu'un bibelot parmi d'autres. »King Kasaï est le nom d'un éléphant empaillé qui fut longtemps le symbole du Musée royal de l'Afrique centrale, situé près de Bruxelles. C'est devant le « roi du Kasaï » et près d'un Léopold II à la gloire déboulonnée, dans cette ancienne vitrine du projet colonial belge aujourd'hui rebaptisée Africa Museum, que Christophe Boltanski passe la nuit. En partant sur les traces du chasseur qui participa à la vaste expédition zoologique du Musée et abattit l'éléphant en 1956, l'auteur s'aventure au coeur des plus violentes ténèbres, celles de notre mémoire.
Derrière l'épouvantail woke, le vieux monde allié à l'extrême droite s'attaque à la jeunesse et à son combat renouvelé pour la justice, sexuelle, raciale, sociale, climatique - en fustigeant une génération de fanatiques qui menaceraient la civilisation. Or, la violence et l'intolérance, le cancel et le shaming, sont en face : là où on fait la guerre aux minorités, hurle au racisme anti-blanc et à l'hystérie féministe, ridiculise les transitions de genre et punit les écolos radicaux. Contre ces retours de bâton, quelque chose d'inédit est en train de se lever, qui a ses tics de langage mais aussi ses ruses, ses affects, son ancrage et son intelligence critique, en quête d'une civilité nouvelle et d'un horizon d'émancipation commun.
«Peut-être est-ce cela, une rencontre, la vie ramassée en une seconde. Un mirage, un éclat, qui permet, l'espace d'un souffle, à peine le temps d'un battement de cils maquillés, d'entrevoir la vérité, avant qu'elle nous échappe pour toujours.»Monica SaboloNeuf grands écrivains nous racontent une rencontre, réelle ou imaginaire. Un recueil de textes où Ilona Gesmay, la première fiancée de Romain Gary, côtoie Leonard Woolf et Bonnie Parker ; où l'on célèbre le pouvoir consolateur des livres, avec André Breton et Mme de Lafayette ; où se dévoilent des amitiés fondatrices avec Jean Genet et Italo Calvino. Autant de rendez-vous heureux ou malheureux - car on peut aussi y voir la main du diable, de Paris à Cuba -, mais qui tous témoignent de la beauté d'une rencontre, de sa part de hasard, de la révélation qui en découle et change une vie à jamais.Ces Brèves rencontres ont été lues par leurs auteurs sur France Inter tout au long de l'été 2022.
« Accusé, levez-vous ! Eh oui, né au milieu des années 1950, donc responsable, heureusement pas tout seul, de tous les maux de la planète. La génération de mes enfants et plus encore celle des milleniums me taxent d'inconscient, voire de criminel coupable d'un écocide. Pourtant, je suis naturaliste, paléontologue et biologiste, j'ai passé des années comme chercheur au CNRS, puis comme Président du Muséum national d'histoire naturelle à prendre la parole et la plume pour alerter, pour défendre la cause de l'environnement et de la biodiversité. C'est dire que j'y suis sensible ! En dépit de cela, je suis a priori coupable de ne pas l'avoir fait assez tôt, de ne pas avoir assez tôt accordé mes paroles et mes actes. Mais était-ce si simple ? Que savons-nous de ces périodes de consommation frénétique? Étaient-elles d'ailleurs si frénétiques ? Et à quelle époque ai-je approché, senti puis vraiment compris que nous étions dans l'irréversibilité ? » Dans ce texte personnel et éclairé, Bruno David nous raconte sa prise de conscience environnementale au fil des décennies. De son enfance à ses études scientifiques, d'un épisode de pêche dans un fleuve aux eaux incertaines au rivage tragique d'une marée noire,, d'un premier rapport du GIEC à une discussion avec un climato-négationniste qui s'ignore, d'une décennie froide à un été irrespirable, il nous livre ses doutes, ses inquiétudes fugaces, parfois contre-intuitives puis de plus en plus rationnelles, jusqu'à l'année irréversible...
Un récit unique en son genre, mêlant portraits, choses vues, chiffres clés et lutte contre les a priori ou l'ignorance. Quand un grand scientifique nous guide librement sur le chemin de la connaissance et de la transformation de notre monde. A placer entres toutes les mains !
Puisque l'époque nous assigne à résidence, prenons la fuite et passons l'été à bord du bateau ivre de la poésie : Arthur Rimbaud.
Sylvain Tesson s'attaque au mythe Rimbaud en le sortant de la kermesse biographique et en le dépoussiérant de ses vieux habits de jeune monstre de la poésie : Rimbaud anarchiste, communard, voyou, punk, beatnik, sauvage, avant-gardiste, moderne, trouvère, futuriste... Certes mais surtout Rimbaud, poète.
A ses côté, Sylvain Tesson marche et traverse les paysages réels ou imaginaires suivant le cap tracé par René Char : « Rimbaud poète, cela suffit et cela est infini » A la vitesse de l'éclair mais aussi avec humour et lucidité, des Ardennes au désert africain Sylvain Tesson en voyageur aventureux perce à jour le voyant monstrueux qui révolutionna la poésie et qui n'avait qu'un ennemi : l'ennui.
Un été particulièrement incandescent où la route est une illumination.
Un été avec Rimbaud est le 9 e titre de la collection.
«Je me souviens du moins d'une grande fille magnifique qui avait dansé tout l'après-midi. Elle portait un collier de jasmin sur sa robe bleue collante, que la sueur mouillait depuis les reins jusqu'aux jambes. Elle riait en dansant et renversait la tête. Quand elle passait près des tables, elle laissait après elle une odeur mêlée de fleurs et de chair.»
«C'est facile, d'écosser les petits pois. Une pression du pouce sur la fente de la gousse et elle s'ouvre, docile, offerte. Quelques-unes, moins mûres, sont plus réticentes - une incision de l'ongle de l'index permet alors de déchirer le vert, et de sentir la mouillure et la chair dense, juste sous la peau faussement parcheminée. Après, on fait glisser les boules d'un seul doigt. La dernière est si minuscule. Parfois, on a envie de la croquer. Ce n'est pas bon, un peu amer, mais frais comme la cuisine de onze heures, cuisine de l'eau froide, des légumes épluchés - tout près, contre l'évier, quelques carottes nues brillent sur un torchon, finissent de sécher. Alors on parle à petits coups, et là aussi la musique des mots semble venir de l'intérieur, paisible, familière. On parle de travail, de projets, de fatigue - pas de psychologie.»